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La vie au chantier: suite
11.08.2009 après 2 semaines d'absence, je reviens à Fès. les ouvriers ont commencé la façade du côté du quartier Kasbah Nouar. Là, l'architecte a prévu de très larges ouvertures, mais comme le mur d'origine n'est pas en très bon état, il va être complètement refait en briques pleines. Ici, la technique consiste à construire 4 piliers de 60 cm reposant sur un socle en béton enterré et allant de bas en haut, puis, selon la même technique que les autres murs, casser les pans entre les piliers de bas en haut sur une hauteur d'une cinquantaine de centimètres et remplacer l'orifice par des briques pleines. Ainsi, l'ancien mur est peu à peu entièrement reconstruit. Cette méthode de remplacement progressif évite de fragiliser la structure entière, ce qui serait le cas si l'on abattait entièrement la façade.
Ma chambre,à travers laquelle un pilier a été construit, a été donc complètement bouleversée. Les ouvriers ont préalablement déménagé son contenu et mes "meubles" vers une autre pièce de la mesriya. Hélas, je crois que je réintègrerai ma chambre au plus vite car cette pièce s'avère être bien plus chaude la nuit. Le béton ne vaut pas la brique ni le pisé.
13.08.2009: aujourd'hui je rencontre Christian dans la médina. C'est le propriétaire de l'autre chantier de Rachid et que j'ai connu hier au riad. Il me propose de me faire visiter sa maison. Il s'agit aussi d'une future maison d'hôtes, avec 5 chambres et une surface habitable dépassant 500 m2 située au coeur de la médina et avec une vue splendide surtout de la terrasse supérieure. Ce qui étonne dans cette maison, c'est la hauteur qui doit bien faite 16-17 mètres, donnant une vue plongeante sur toutes les terrasses environnantes. En fait, c'était auparavant la maison d'un pacha qui n'a pas dû avoir de difficulté à ériger un tel édifice. De nos jours, cela serait certainement impossible.
Le chantier de Christian est dans la phase des finitions: les plâtres d'un blanc immaculé sont déjà faits, l'électricité et la plomberie aussi, les fenêtres en fer (Christian ne veut pas de bois) sont en partie en place, il manque seulement les zelliges au sol. Cela me donne une idée de la façon de travailler de l'équipe de Rachid et ma bonne impression se confirme.
Sur le chantier, je fais la connaissance de Paul, un Anglais qui rénove une maison dans la médina pour y habiter et qui a aussi un autre projet de maison d'hôtes à Fès. Il se débrouille d'ailleurs très bien en arabe, preuve qu'il a dû suivre son chantier.
Tous ensemble nous allons chez lui où nous avons rendez-vous avec le marbrier et le poseur. Il parait qu'ici le marbre originaire de l'Atlas est très beau et Christian a su négocier un très bon prix, 180 Dhs le m2. A présent, il s'agit de négocier avec le poseur. Le prix du marché se situe en moyenne à 80 Dhs le m2, mais celui-ci démarre très haut à 120 Dhs. Nous discutons âprement le prix, arguant qu'il peut gagner 3 chantiers d'un seul coup (je me suis joint à eux car moi aussi, j'aurai besoin d'un poseur de marbre). Finalement, nous tombons d'accord sur 90 Dhs le m2 et 20 Dhs le ml pour les plinthes. Comme les négotiations ont été menées en présence du marbrier, de Driss le contrôleur et de nous trois, les prix ne seront plus remis en question. Serrage de mains général, rien n'est écrit et tout est dans la parole.
C'est ainsi au Maroc.
15.08.2009: aujourd'hui, j'ai rendez-vous à 11h avec Rachid pour nous rendre à Azrou. En effet, comme nous avons eu un petit différent au sujet du choix du bois, il m'a proposé d'aller voir directement dans les scieries de l'Atlas.
Nous nous arrêtons d'abord à Ifrane où nous mangeons dans un restaurant. Ici, il y a énormément de touristes marocains venus de tous les coins du pays car la région est très prisée par la population vu l'altitude et la température en été, et aussi pour le dépaysement car ici, les maisons sont construites comme en Europe avec des toîts à 2 pentes, parfois de plus de 45 degrés pour éviter que la neige, abondante en hiver, ne s'amasse en quantité importante.. Cette architecture semble évidemment "exotique" aux Marocains habitués aux toîts plats à terrasses.
Notre but est donc Azrou et nous nous rendons dans plusieurs scieries. Comme m'avait averti Rachid, le bois ici est paradoxalement rare. En effet, vu l'énorme demande émanant de tous les coins du royaume, celui-ci, dès qu'il est coupé, est immédiatement acheté en lots par les grossistes. Le bois est trié sur place en quatre catégories, du premier au quatrième choix et est réparti en lots de un à plusieurs mètres cubes. Dans un lot, on retrouve certes à peu près la même qualité dans chaque pièce mais celles ci sont de longueurs très diverses, allant de 1m à 5m environ avec des sections également différentes. Nous, ce qui nous intéresse pour le salon, ce sont des poutres de 3,80m et 10x8cm et pour les chambres de l'étage, de 4,40m et 15x10cm. Ainsi, dans un lot d'environ 1 m3, on a de la chance si on trouve 4 à 5 poutres d'au moins 4,40m et une dizaine d'au moins 3,80m, le reste peut donc être utilisé pour les couloirs ou pour d'autres ouvrages, des fenêtres par exemple.
Les billes de bois sont pour la plupart de taille respectable, certaines de 1m de diamètre et plus, ce qui veut dire que ces arbres étaient plus que centenaires. Cela me donne le sentiment désagréable de participer à la déforestation du Maroc car vu la forte demande en cèdre, une essence à croissance lente, comment procéder à une gestion durable de la ressource en remplaçant les arbres coupés par de jeunes pousses qui seront de la même taille dans un siècle ou plus ? J'ai bien peur que le Maroc connaitra le même sort que le Liban, le soi-disant pays du cèdre où il n'y a pratiquement plus de cèdres. Déja les Romains avaient abondamment pillé ce pays pour construire leurs villas et palais, mais aussi leurs galères. La déforestation s'est poursuivie au cours des siècles suivants et de cette belle forêt, il ne reste qu'un souvenir et que l'emblême du pays.
Pourtant je n'ai pas le choix car il faut bien remplacer les solives abimées du riad. Si j'optais pour ce qu'on appelle ici le bois rouge, c'est à dire le sapin importé de Scandinavie, il faudrait des poutres d'une section bien plus importante car ce bois n'est pas aussi dur et les plafonds perdraient leur aspect traditionnel typique des maisons fassies.
Il nous faudra retourner à Azrou ou à Ain Leuh à la recherce de lots de premier choix avec suffisamment de longues poutres.
16.08.2009: ce matin, je vais avec Adil le menuisier dans le quartier de Bab Guissa, celui des menuisiers. Il est vrai qu'ici il y a toutes sortes d'artisans qui travaillent le bois, ébénistes, sculpteurs, marquetteurs et peintres sur bois et qui réalisent de leurs mains de petites merveilles.
Nous visitons l'entrepot d'un grossiste et la directrice, une femme de tête qui a l'air de bien mener son monde d'hommes, m'assure qu'elle peut me trouver mes poutres de toutes longueurs de premier choix et aux mêmes prix que dans les scieries d'Azrou ou d'Ain Leuh soit 15000 Dhs le m3, avec une remise si je commande une quantité importante. Alors à quoi bon se donner la peine d'aller dans l'Atlas ? Là bas, les grossistes achètent en fait de très grande quantités et peuvent faire baisser les prix. Comme le disait hier Rachid, ils achètent des lots composés de morceaux de longueurs et sections différentes et revendent ensuite aux détaillants ou aux clients les longueurs voulues.
Je soupçonne un peu Rachid de m'avoir emmené là bas dans l'Atlas pour me montrer que dans les lots, on prend ce qu'il y a, qu'on doit s'estimer heureux d'y trouver de belles pièces et qu'il faut fermer les yeux sur celles de qualité moindre.
Je crains que le choix du bois va être délicat car je suis décidé à n'accepter que du bois de la meilleure qualité et sans noeud comme l'indique notre descriptif. La méthode des signatures sur chaque pièce va devoir être maintenue.
17.08.2009: la façade côté Kasbah Nouar est bien avancée, aujourd'hui, les ouvriers posent des "IPN", c'est à dire des poutrelles métalliques en forme de I pour consolider le mur car celui ci comporte de très larges ouvertures. Surtout au dessus du bakhtal, il y a une ouverture de 5,50m donc là aussi, un IPN s'impose.
Je discute avec Abdessalam le contremaître au sujet du traitement du bois de charpente. Il me dit que l'on va passer deux couches d'huile de lin. Okay, l'huile de lin est excellente pour maintenir la qualité du bois, le nourrir, l'empêcher de pourrir et lui donner une belle couleur blonde mais qu'en est-il de son pouvoir fongicide et insecticide ? Abdessalam m'assure qu'au Maroc, on utilise seulement cela mais je ne l'entends pas de cette oreille et je veux absolument que la charpente soit traitée avec un produit de type xylophène.
J'en parle à Rachid et je le sens un peu hésitant et évasif, "on ne trouve pas ce produit à Fès, il faut le faire venir de Casa.." ...etc.
Il doit penser qu'en ce qui concerne le bois, je suis particulièrement exigeant mais tant pis, je vais rester intransigeant sur ce sujet.
18.08.2009: chaque matin un peu avant 8h, je vais dans la médina prendre mon petit déjeûner. A cette heure, les rues sont encore vides et même dans le Grand Talaâ, la plupart des échopes sont fermées, seules quelques unes ont ouvert leur porte. Il faut dire aussi que pour la majorité des gens, il est encore 7h car malgré le passage à l'heure d'été, la plupart ont gardé l'ancienne heure. Comme je m'étonnais de cela, on m'a donné une explication simple: les heures de prière ne changent pas et le temps dans la religion est régi par les phases de la lune et non par une quelconque décision administrative. Ainsi les gens ne changent en rien leur emploi du temps, seuls les fonctionnaires et ceux qui travaillent dans les grandes sociétés ou dans les banques sont passés à l'heure d'été.
A cette heure matinale donc, les livreurs profitent pour transporter leur marchandise, sur des ânes ou des mulets ou bien sur des charrettes mais de plus en plus à présent sur des motos tricycles avec une benne arrière, certes bien adaptées aux rues de la médina mais dont les moteurs bruyants et nauséabonds font perdre un peu son cachet traditionnel à la médina. Sans ces véhicules, on se croirait encore au Moyen Age.
Après les avoir tous essayés, je m'installe presque toujours au même café et commande mon thé à la menthe avec seulement un peu de sucre. Je passe maintenant ma commande en arabe et le serveur sourit car il sait à l'avance ce que je veux. J'achète dans la boutique d'en face un morceau de crêpe ou de gâteau à la semoule que je fais enduire de miel et je prends ainsi un petit déjeûner typiquement marocain. Ici au Maroc, ce n'est pas un problème d'acheter ailleurs ce que l'on consomme à une terrasse, en Europe, ce serait assez mal vu.
Ce petit déjeûner est un moment privilégié de la journée car j'en profite pour observer les allées et venues des gens et la vie qui commence un nouveau jour. Peu à peu, les boutiques ouvrent leurs portes, les livreurs passent et apportent leur marchandise, dans les gargottes, on sort les vitrines contenant les plats du jour, le barbier aiguise son rasoir sur une bande de cuir, le boucher pend ses quartiers de viande aux crochets, devant lui bien en vue et le maraîcher place ses fruits et ses légumes sur son étal, bien alignés ou en petits tas selon les variétés.
A côté du café, une dame d'un certain âge arrive tous les matins avec un fardeau de fines crêpes et s'installe dans un coin. Elle ouvre son paquet, sort chaque crêpe l'une apès l'autre et la place sur un plateau de cuivre devant elle. L'opération dure bien une bonne demi-heure, interrompue parfois par un client qui lui achète une ou plusieurs crêpes. Il arrive que quelqu'un venant d'un restaurant ou d'un hôtel, lui achète une grande quantité qu'elle pèse alors avec soin sur sa vieille balance Roberval. Il s'ensuit une courte négotiation puis les crêpes et l'argent changent de mains et elle fait immédiatement disparaitre son gain dans un pli de sa djelabah. Le client s'en va et je peux lire un léger sourire de satisfaction sur le visage de la vendeuse.
A côté d'elle est assis le marchand de cigarettes, aussi sur une chaise empruntée à l'un des cafés. Il a devant lui une petite armoire sur laquelle sont disposés quelques paquets de cigarettes ouverts. Il achète ses cigarettes certainement par cartouches et les revend au détail. Ici, les gens ont l'habitude d'acheter à l'unité, peut être dans l'espoir de moins fumer ou de moins dépenser mais le calcul est certainement mauvais car le brave homme les revend plus cher avec donc sa marge bénéficiaire. Mais je doute qu'il arrive à gagner bien plus de 50 dhs par jour...
Les clients du café sont des habitués, la plupart se connaissent et se congratulent bruyamment et avec force embrassades. Les gens ici n'ont pas cette retenue et cette "décence" qui caractérisent les gens du Nord, Européens et autres, les relations sont naturelles et dénuées de code de conduite, tout le monde s'appelle par son prénom, se hêle dans la rue, s'empoigne, se touche, se pousse, se prend le bras ou la main. La convivialité et la cordialité peuvent aussi très vite faire place à la colère et à la dispute. Ici à Fès, il ne se passe pratiquement pas un jour, au chantier comme dans la rue, sans que je sois le témoin d'une altercation. Le ton monte alors très vite, les paroles fusent, les passants s'arrêtent et s'attroupent. J'ai déjà vu des adversaires vociférants, rouges de colère et tête contre tête mais rarement un véritable échange de coups et une vraie bagarre. Il y a toujours des passants ou des voisins pour séparer les deux bélligérants qui s'éloignent alors dans un flot d'injures, parfois revenant l'un vers l'autre puis repartant dans l'autre sens jusqu'au retour progressif au calme. Alors la rue reprend son activité comme si rien ne s'était passé.
Si chez nous un tel incident survenait, les opposants seraient fâchés pour au moins dix ans. Ici, rien de tel, les gens pardonnent et oublient très vite et se reparlent rapidement. Je le vois bien au chantier aussi quand il arrive qu'Abdessalam se fâche et insulte un ouvrier, Ahmed en particulier. J'entends entre autre le mot "halouf" (cochon), l'insulte suprême pour un musulman. Pourtant peu de temps après, ils sont capables de converser de façon tout à fait normale voire amicale.
Aujourd'hui, un accident est arrivé au chantier qui aurait pû être bien plus grave. Un morceau de planche est tombé d'une hauteur de 10m sur l'épaule d'Abdessalam alors que je conversais avec lui. En plus de la douleur, il a été très choqué et on a dû l'asseoir et lui apporter de l'eau. Une chance que l'objet ne soit pas tombé sur sa tête, nue pour une fois et sans son éternelle casquette. Le port du casque ici n'est visiblement pas une habitude bien qu'il y en ait suffisamment sur le chantier. Moi même aussi, je devrais en porter un et j'en avais d'ailleurs l'intention au début mais voyant que personne ne le faisait,je n'avais pas voulu paraitre ridicule.
Quand on explique à un ouvrier que le port du casque peut lui sauver la vie, il répond qu'un accident est toujours la volonté de Dieu. Ainsi l'application des consignes de sécurité se heurte au fatalisme des gens contre lequel il est impossible de lutter.
Abdessalam est parti pour consulter un médecin et il revient une heure plus tard: tout est en ordre et il s'en tire avec une bonne ecchymose, donc plus de peur que de mal.
19.08.2009: les six IPN placés en trois groupes de deux sont installés. Au dessus du bakhtal, deux IPN neufs ont été nécessaires vu la portée importante de plus de cinq mètres mais au dessus des arcades des fenêtres, nous réutilisons les anciens qui servaient à soutenir le plafond du salon. Grattés et poncés puis repeints, ils s'avèrent encore en bon état et sont même plus épais que les neufs. Rajeunis, ils sont de nouveau scellés dans le mur et ayant ainsi entrevu la lumière du jour quelque temps, ils vont reprendre du service et replonger dans l'obscurité...jusqu'à la prochaine restauration. Quant aux deux IPN au dessus du bakhtal, ils restent à l'air libre et seront habillés de cèdre.
Le Ramadan approche à grands pas. Habib, le conducteur du triporteur, me demande si je vais jeûner. Je lui dis que non puisque je ne suis pas musulman et que dans ma religion, il y a certes un mois de carême mais les règles ne sont pas (ou du moins ne sont plus) aussi strictes qu'en islam, qu'en outre nous consommons de la viande de porc et que le vin n'est pas du tout tabou, en quantité raisonnable du moins. Il me regarde avec des yeux incrédules, pensant que je suis vraiment un impi.
En fin de journée, je rends visite à Kate, une Anglaise mariée à un Français, qui habite au fond du derb et que Sabah m'avait présentée l'année dernière. Elle vit en France depuis l'âge de 21 ans et parle un excellent français mais est restée très british, avec un délicieux accent anglais et des expressions bien de chez nous qui font sourire de la part d'un étranger, par exemple quand elle me raconte que pendant ses vacances à Oualidia au bord de l'Atlantique, il y faisait "un froid de canard", prononcé avec l'accent d'Outre-Manche. Délicieux.
Kate a eu bien des déboires pendant ses travaux de rénovation. Elle passait certes environ une semaine par mois à Fès mais pendant son absence, les ouvriers en faisaient à leur guise. Pourtant à présent sa maison est terminée, spacieuse et agréable à vivre avec son grand jardin pavé de zelliges et sa piscine.
Elle m'invite à une soirée entre amis mais je décline poliment, disant que le matin je dois me lever tôt avant l'arrivée des ouvriers. J'ai bien le temps de faire connaissance avec la communauté européenne de Fès.
20.08.2009: l'heure du petit déjeûner est toujours un moment que j'apprécie et que je répète tous les matins avec un rituel immuable. Pratiquement toujours le même menu puisque j'ai le choix entre les crêpes, les gateaux de polenta ou les crêpes à la semoule de blé dites "aux mille trous", chaque fois avec un peu de miel et un thé à la menthe pris toujours au même estaminet.
Ce matin, la vendeuse de crêpes a dû se faire réprimander par un cafetier car elle devait commencer à trop prendre ses aises. En effet, elle arrive chaque jour avec sa production quotidienne qu'elle porte sur la tête mais elle laisse chez le coiffeur son matériel, c'est à dire son tabouret et sa balance. Puis elle déballe son paquet sur une table de café et elle prend une des chaises qu'elle occupe alors pendant tout le temps qu'elle reste là. J'ai vu le cafetier lui parler avec à plusieurs fois le geste caractéristique de la main, les doigts en éventail et le poignet tournant sur lui même, qui exprime la désapprobation, en répétant le mot "safi" (assez). Elle a donc remballé ses crêpes et les a posées sur le tabouret emprunté au coiffeur. Pour ses services rendus, celui ci doit bien recevoir quelques crêpes. C'est ainsi dans la médina, tout le monde s'entraide en menus services que chacun doit rendre mutuellement.
Ce soir, le chantier est nettoyé et les détritus évacués. Demain, c'est la pause du vendredi.
21.08.2009: Ahmed, qui m'a invité à prendre le couscous du vendredi chez lui, vient me chercher à 14h au riad après la prière. Il habite sur les hauteurs de Fès du côté du Bordj Nord et nous prenons un taxi pour nous y rendre. Il possède un appartement de 3 pièces et y vit avec sa femme, ses 2 enfants et sa belle-mère. Il y a là en visite un cousin et sa femme. Je remets à Ahmed le pain de sucre que j'ai acheté ce matin, un des petits cadeaux que l'on fait usuellement pour ne pas venir les mains vides.
Le grand plat de couscous arrive sans tarder et chacun s'attable et commence à manger droit devant lui jusqu'au centre où se trouve la viande. Les enfants mangent séparément dans un autre pièce. Chacun a une cuillère sauf la belle-mère qui mange avec la main en formant une boule de couscous qu'elle fait légèrement sauter et tourner pour compacter la semoule. Pour montrer mes connaissance en arabe et pour créer un peu de conversation, j'énumère chaque ingrédient du plat, mots que j'ai appris il y a quelques jours et tout le monde s'étonne et me félicite. A la fin, chacun l'un après l'autre lance un rot sonore et je sais que cela signifie que l'on a bien mangé mais moi, j'ai des difficultés à faire le mien. Heureusement mon salut vient quand Ahmed apporte à boire (on ne boit jamais pendant le couscous mais après): il y a de l'eau, du lait caillé mais aussi du Coca Cola que je choisis sans hésiter. Trente secondes plus tard, le rot libérateur arrive et Ahmed doit enfin penser que j'ai mangé à satiété.
Vers 4 heures, je prends congé de mes hôtes et retourne au riad.
J'ai demandé autour de moi quand commence le ramadan mais personne ne sait exactement: demain ou après demain, dès que le premier croissant de lune sera vu par le grand imam. En fait, dans la plupart des pays musulmans, le ramadan a commencé ce matin mais le Maghreb commence un ou deux jours plus tard, surtout le Maroc, le pays le plus à l'ouest du monde arabe.
D'ailleurs Maghreb en arabe désigne seulement le Maroc et signifie le pays de soleil couchant (gharb: ouest). D'oú une certaine confusion dans cette appellation car les Occidentaux considèrent le Maghreb comme la région économique comprenant le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, et parfois même la Mauritanie et la Libye.
22.08.2009: les ouvriers arrivent ce matin en me disant que le Ramadan a commencé. Cette nuit, le premier croissant a été visible et a donné le signal du premier du mois sacré.
Je vais faire un tour en médina et en effet, les rues sont désertes, tout est fermé même dans le Grand Talaâ. Bon, moi qui voulais prendre mon petit déjeûner, c'est plutôt mal parti de plus que, comme je n'ai pratiquement pas mangé hier soir après le couscous copieux d'Ahmed, mon ventre crie déjà famine.
Je rentre donc bredouille au riad pour entendre que l'heure d'été, instaurée en Juin, est déjà repassée à l'heure d'hiver cette nuit. Je doute un peu de l'utilité de ce changement d'heure qui ne dure qu'un peu plus de 2 mois et que la plupart des gens ignorent.
D'ailleurs Ahmed arrive ce matin avec une heure de retard, Abdessalam lui dit qu'il peut retourner chez lui et qu'il reviendra seulement demain. Alors Ahmed, vexé, rassemble sans rien dire ses outils et quitte le riad, ce qui veut dire qu'il abandonne le chantier. Cela commence bien. J'ai déjà entendu dire que pendant le mois de Ramadan, les esprits sont beaucoup plus tendus à cause des privations et que les coups d'éclat sont plus fréquents. Ensemble avec Driss et Abdessalam, nous discutons. Ahmed est un bon maâlem, bien sympathique de surcroit et nous avons encore besoin de lui. Je propose de l'appeler sur son portable mais personne n'a son numéro. Heureusement peu après, Rachid entre au riad et Ahmed le suit. Ils se sont rencontrés dans la médina et Rachid l'a persuadé de reprendre le travail.
Vers 11h, je sors avec Rachid pour aller chez le grossiste en bois de Bab Guissa. J'ai le plaisir de constater que les rues ont de nouveau leur aspect habituel, pratiquement tout est ouvert et même les étals couverts de monticules de pâtisseries luisantes de miel, les sucreries habituelles du mois de Ramadan, qui avaient fait leur apparition depuis une semaine environ, sont bien là et bien achalandés. En fait, les gens achètent déjà en prévision du ftour de ce soir, le repas de rupture du jeûne. La plupart des cafés sont ouverts à présent, fréquentés seulement par les touristes qui prennent leur petit-déjeûner, superbement indifférents à leur environnement.
Moi, je suis d'un côté tenaillé par la faim et de l'autre côté, j'aimerais bien imiter les ouvriers par solidarité. On va bien voir, l'essai en vaut bien la peine.
De chez le grossiste, nous ramenons au riad un échantillon de bois de cèdre que j'avais sélectionné hier et qui présente justement ces zones sombres et ces veines verdâtres que je n'apprécie guère car elles foncent beaucoup sous l'action de l'huile de lin. Ils m'ont assuré qu'un traitement préalable au peroxyde d'hydrogène (l'eau oxygénée) fait disparaitre ou du moins atténue cet effet. Et effectivement, le résultat est plutôt satisfaisant.
Le premier jour de Ramadan se passe bien au chantier malgré une chaleur torride. Heureusement, aujourd'hui tout le monde travaille au rez de chaussée où il fait bien moins chaud qu'aux étages. Mais tout de même, la faim et la soif se font sentir et les gestes deviennent plus lents, en particulier parmi les manoeuvres qui fournissent un effort plus physique. Ahmed, d'habitude si exubérant et bavard, est taciturne aujourd'hui. Mais le plus qui souffre est Driss car il est un grand fumeur et il assure que l'abstinence au tabac est pire que le manque de nourriture ou de boisson. Il reste assis toute la journée sur son sac de ciment, silencieux et le regard absent. Pauvre Driss, nous le taquinons un peu avec Abdessalam, lui suggérant de profiter du ramadan pour arrêter définitivement de fumer mais visiblement il n'apprécie pas vraiment la plaisanterie aujourd'hui.
Et moi dans tout cela ? Et bien, je tiens le coup ! Je trouve que jusqu'à la mi-journée, la faim est bien présente mais en cours d'après midi, cela va beaucoup mieux, par contre j'éprouve un léger mal de tête. Et la soif n'est pas un problème car je suis d'ordinaire comme un dromadaire, je bois très peu. Les ouvriers me demandent si vraiment je n'ai pas mangé ni bu aujourd'hui puis approuvent, le puce levé. Je pense que mes baillements intempestifs attestent de ma bonne foi.
Les ouvriers font la journée continue pendant le Ramadan et arrêtent à 15h. Pourtant en fin de journée, les nerfs craquent chez certains. Ahmed, qui est fâché contre Abdessalam depuis ce matin, se querelle de nouveau avec lui puis avec un autre maâlem d'ordinaire très calme et peu loquace. Il est clair que c'est le premier jour de jeûne aujourd'hui, dans les jours prochains, l'habitude prendra le dessus et tout rentrera dans l'ordre, du moins je l'espère.
L'attente est encore longue jusqu'à la fin du jour. Vers 19h, je sors enfin pour prendre le ftour, la collation qui romp le jeûne. En chemin je rencontre Abdelaid, mon voisin qui rentre chez lui et il m'invite à le suivre. Je prends donc mon premier ftour au sein d'une famille marocaine. D'abord un verre de lait et des dattes puis la harira, la soupe typique de ce mois de Ramadan et des oeufs. On finit par des pâtisseries très sucrées, dégoulinantes de miel. Vers 23h ou minuit, le vrai grand repas du jour sera alors pris dans les familles mais moi, je vais me contenter du ftour. Perdre quelques kilos ne sera pas une mauvaise chose.
Mon premier jour de Ramadan est donc une réussite. J'avais déjà dans le passé séjourné quelques jours au Maroc pendant cette période mais je m'étais comporté comme tout touriste sans être concerné. Aujourd'hui je l'ai vraiment vécu de l'intérieur.
24.08 (3. Ram.): Aujourd'hui il y a à l'ordre du jour la construction des côtés du bakhtal. Ce sont deux pans de murs qui relient la façade intérieure nouvellement construite et le mur d'enceinte du riad en pisé. Je pensais qu'ils étaient en bon état et qu'il n'était pas nécessaire de les refaire mais Rachid m'explique qu'ils vont servir à "accrocher" la nouvelle façade au mur extérieur et donc lui donner plus de rigidité. En effet, nous avons constaté en décapant tous les murs du riad qu'à chaque jonction, ceux ci sont simplement accolés les uns aux autres et non imbriqués comme il se doit ce qui a causé de très nombreuses fissures et fragilisé la structure générale du bâtiment. Pire, un des murs extérieurs présente un "ventre" inquiétant et est carrément fendu sur une grande hauteur, il devra donc être complètement reconstruit. J'avais déjà remarqué ce défaut dés le début avant la vente du riad et je l'avais montré à Sabah mais celle ci m'avait assuré que son riad était très solide et en parfait état, pourtant nous constatons en y travaillant que ce n'est pas tout à fait le cas.
Les deux pans de murs sont érigés toujours de la même façon, c'est à dire par remplacement progressif. Les anciens murs s'avèrent être en mauvais état car seulement faits de pierres et de terre sans ajout ou presque de chaux et ils s'éffritent donc facilement. Par contre l'antique mur de pisé est extrèmement solide et il faut le piqueter au burin comme un mur de béton. Pour assurer la jonction entre les deux murs, il faut donc pratiquer dans le pisé une saillie afin que le nouveau mur vienne s'y encastrer. Cette saillie doit être de 7 ou 8 cm soit environ 1/3 de brique mais je constate que les ouvriers ne creusent que de 2 ou 3 cm vu la dureté du pisé. Je le fais remarquer à Abdessalam qui doit intervenir. Si je n'avais pas vu cela, le nouveau mur aurait aussi été accolé au mur d'enceinte comme auparavant, répétant la même erreur.
En règle générale, il faut constamment surveiller les ouvriers. Ceux ci ont l'habitude de travailler dans la rénovation de bâtiments anciens et savent bien comment procéder mais ils choisissent toujours le chemin le plus simple pour eux, celui qui exige le moindre effort. Un autre exemple: dans les détritus il y a des briques que l'on peut réutiliser ainsi que de nombreuse pierres dont nous aurons besoin plus tard pour confectionner un empierrage dans le patio du riad. Il faut donc les mettre de côté et les ouvriers le savent mais il faut le répéter plusieurs fois par jour car ils choisissent systématiquement la méthode de facilité qui consiste à tout évacuer sans tri.
Pour mener à bien un projet, il faut absolument connaitre le sujet et aussi être constamment sur place et surveiller le chantier. Il y a bien le contremaître pour cela mais celui ci n'a pas la même vigilance ni la même exigence. Rien ne vaut "l'oeil du maître" comme disait La Fontaine.
Ce soir, je sors à l'heure du ftour. C'est impressionnant comme les rues se vident en très peu de temps, les gens se pressant en courant parfois afin de rentrer à la maison. Quand l'appel à la prière retentit, ceux qui vont prier entrent dans les mosquées et les autres disparaissent. Quelle ambiance étrange qu'une ville morte en plein jour! Plus personne dans les rues à part quelques touristes désorientés. Tout est fermé, on entend partout le bruit des rideaux métalliques fermant les boutiques, les terrasses des cafés et restaurants sont vides et d'ailleurs il n'y aurait personne pour servir.
Il est exceptionnel qu'en pleine journée, toute la population d'une ville disparaisse. Je n'ai vu un tel phénomène qu'en Allemagne où je séjournais en 1974 pendant la Coupe du Monde. La "mannschaft" était en finale contre l'équipe des Pays Bas. Pas âme qui vive dans les rues, pas une voiture qui roulait, tout le pays avait les yeux rivés sur les téléviseurs. L'Allemagne avait été sacrée championne du monde et dès la fin du match, la foule en liesse avait envahi les rues désertes quelques minutes auparavant. Je suppose qu'en 1998, ce fut la même chose en France mais à ce moment, j'étais aussi devant mon téléviseur...
Et ici à Fès comme ailleurs dans tout le monde arabe, ce phénomène se reproduit chaque soir à la même heure et pendant un mois.
Je me rends dans un restaurant où le serveur et le cuisinier sont en train de prendre leur ftour. Ils me prient d'attendre une dizaine de minutes. Bien sûr, ils ne savent pas que moi aussi, j'ai jeûné comme eux et que je vais devoir attendre encore un peu plus.
25.08 (4. Ram.): ma chère moitié m'a tiré les oreilles par email. "Ne pas boire par cette chaleur, tu es fou, ce n'est pas bon pour ta santé !". Et elle a raison qu'est ce que cela apporte de ne pas boire si ce n'est d'entrainer sa volonté ? Comme je ne souffre pas particulièrement du manque de boisson, l'exercice ne se justifie plus bien, donc je décide de boire de nouveau pendant la journée selon mes besoins.
Aujourd'hui les ouvriers préparent le coffrage de la dalle en béton au dessus de l'actuelle cuisine qui sera plus tard la buvette du riad. En effet, au dessus de cette pièce, j'ai prévu d'aménager un local technique où seront installés des accumulateurs d'eau chaude sanitaire, il faut donc une structure solide et le béton armé s'impose. J'ai l'intention de faire de même au dessus de mon actuelle chambre, ainsi nous aurons deux locaux techniques. Ces deux dalles seront les seuls éléments modernes dans cette aile du riad.
27.08 (6. Ram.): la belle arcade en plâtre qui enjambe le bakhtal doit être démolie car elle traverse un des piliers de la façade qui doit être continu de bas en haut. On met à jour les IPN qui supportent le bakhtal et ils sont en bon état donc ils ne devront pas être remplacés.
Alors que les deux premiers jours du Ramadan ont été très chauds, mettant la volonté des hommes à rude épreuve, le temps s'est brusquement radouci et les journées deviennent plus agréables. Les nuits deviennent même fraîches au rez de chaussée du riad et cela est de bonne augure pour l'avenir car cela signifie que les chambres ne devront pas être climatisées tout l'été.
En sortant à l'heure du ftour, je rencontre de nouveau Abdelaid chez qui j'avais été invité le premier jour du Ramadan et il insiste pour que je le suive de nouveau chez lui. L'hospitalité marocaine n'est pas un vain mot.
31.08 (10 Ram.): les jours passent et se ressemblent, la canicule est revenue. Les travaux avancent mais pas de façon spectaculaire. Adil, le menuisier, a du mal avec le jeûne et est devenu très irritable. Il s'accroche avec plusieurs ouvriers et décide de quitter le chantier, d'aller se coucher et de travailler cette nuit en remplacement. Je prends cela pour une plaisanterie mais effectivement quand je rentre le soir, je le trouve en train d'installer les solives du plafond du couloir au dessus du bakhtal, éclairé par un projecteur qu'il a installé lui même. Je ne suis pas du tout enthousiaste car le travail de nuit nécessite normalement une autorisation spéciale et de plus, il doit piqueter le mur afin d'y encastrer les solives donc cela fait du bruit et ici, les voisins sont très irascibles. Je le lui fais remarquer mais il semble bien décidé à poursuivre. Soudain un claquement retentit dans la nuit et le riad est plongé dans l'obscurité. Son projecteur, certainement mal branché, a eu un court circuit et est hors d'usage. Je suis parti me coucher et l'entendais pester contre le mauvais sort.
Mais finalement, il a eu de la chance, Adil, avec son projecteur. En effet, je m'aperçois aujourd'hui que les solives qu'il s'apprêtait à placer, n'avaient pas été traitées à l'huile de lin. S'il avait travaillé toute la nuit, il aurait dû tout démonter pour le traitement du bois. Il n'est pas sérieux, Adil, d'abord les trous de vers sur lesquels il avait fermé les yeux et maintenant la pose de solives non traitées.
Au sujet du traitement à l'huile de lin, j'ai lu sur plusieurs sites internet que celle ci, mélangée à de l'essence térébenthine, pénètre plus profondément dans le bois vu la grande fluidité du mélange. L'essence s'évapore assez rapidement et l'huile reste à l'intérieur, le bois n'est plus gras en surface et attire bien moins la poussière. J'essaie d'expliquer cela au menuisier et à Abdessalam mais je me heurte à un mur d'incompréhension. "On fait comme cela depuis toujours et dans toute la médina". Finalement; j'obtiens satisfaction et le menuisier n'a plus rien contre quand il s'aperçoit que ce mélange est beaucoup plus facile à appliquer mais je suis persuadé qu'il pense que l'huile pure est meilleure.
Il fait de nouveau très chaud à Fès, la température atteint 44 degrés et les ouvriers souffrent et deviennent irascibles. Les altercations sont pratiquement quotidiennes et deux ouvriers d'habitude plutôt calmes en seraient pratiquement venus aux mains si toute l'équipe n'était pas intervenue pour les séparer. Et le mois de Ramadan est loin d'être terminé.
01.09 (11 ram.): nous avons une porte à réaliser à l'entrée du couloir de l'étage et je veux pour celle ci une forme traditionnelle que l'on retrouve un peu partout dans la médina surtout dans les mosquées. La porte comprend une arcade qui est légèrement pointue vers le haut et composée de deux arcs de cercle. Il y a quelques jours, j'étais allé avec Abdessalam dans la médina et je lui avais montré quelques portes qui me plaisaient. J'avais finalement pris une photo de l'une d'entre elles, en avais fait un tirage sur papier et avais dit que je voulais la même. Adil, le menuisier, avait regardé rapidement la photo et avait dit qu'il avait compris puis il était parti faire un gabarit en bois. Ce gabarit représentant l'arcade sera placé au dessus de la porte et les maçons pourront construire autour de lui l'arcade avec des briques pleines. Hélas, quand le gabarit est arrivé, hier, il ne correspondait pas du tout à ce que je voulais et ne ressemblait pas au modèle de la photo. Heureusement Rachid est venu ce matin et nous a dit que pour ce type d'arcade, il y a des règles d'architecture très précises qu'il avait apprises à l'école mais dont il ne se souvenait plus exactement. Il a appelé alors un collègue technicien qui lui a calculé les mesures exactes sur ordinateur et lui a fait même un croquis. En fait, il faut tracer sur le gabarit une droite paralléle à la base de l'arcade à une distance de 1/5 de la largeur de la porte (donc à 26 cm puisque notre porte doit avoir une largeur de 1,30m). Puis on partage la droite en 5 parties égales et à partir des 2 points A et B situés de part et d'autre du centre, on trace 2 arcs de celcle de diamètre égal à la largeur de la porte, donc dans notre cas avec un rayon de 65 cm. Le tour est joué, l'arcade est dessinée, parfaite dans ses dimensions harmonieuses.
Notre menuisier s'exécute donc et bientôt le nouveau gabarit est prêt avec la forme voulue.
Les architectes arabes, tout en étant des artistes, étaient aussi de fins géomètres.
03.09 (13 Ram.): les montants de la porte ont été construits hier et le gabarit a été mis en place pour réaliser l'arcade. Aujourd'hui deux maâlems sont debouts sur un échafaudage de part et d'autre du gabarit et commencent à construire l'arche. Apparemment, ils n'ont jamais fait ce genre de travail car systématiquement, ils placent les briques de travers. Je leur explique que chaque brique qui forme l'arcade doit être posée perpendiculairement au gabarit et je le leur fais comprendre avec mes deux mains formant un angle droit. Evidemment les pauvres n'ont jamais fait de géométrie mais tout de même cela me parait assez intuitif. Mais pas pour mes deux gaillards car nous plaçons ensemble quelques briques mais dès que je tourne les talons, ils continuent à les mettre de travers et doivent les démonter. Alors je fais placer deux cordeaux aux centres des deux cercles qui forment l'arcade avec lesquels ils n'ont plus qu'à aligner les briques. Je sens le déclic en eux, ils me montrent qu'ils ont compris la méthode mais les autres ouvriers du chantier commencent à blaguer et à se moquer un peu d'eux, devant leur dire qu'ils apprennent leur métier du gaouri, l'étranger. Mais moi non plus je ne suis pas épargné car ils plaisantent à mon sujet et m'appellent "chef", surtout que je porte en permanence un casque depuis qu'un ouvrier a reçu une pierre sur la tête, heureusement pas trop grosse. Il s'en est tiré avec une bonne bosse mais cela ne l'a pas décidé, les autres non plus, à se protéger la tête. Sauf moi. Finalement tout finit dans un éclat de rire et l'incident est clos.
L'arcade ce soir est terminée et parfaitement dessinée.
04.09 (14.Ram.): aujourd'hui vendredi, jour de repos et mi-ramadan. Je fais une petite entorse au jeûne en mangeant vers 7h quelques fruits alors que dans la semaine, je mange avant l'arrivée des ouvriers. Je profite que je suis seul pour continuer à piqueter le mur de pisé à l'entrée du riad et que je veux conserver en l'état. Je commence vers 10h afin de ne pas géner les voisins. Ce mur est incroyablement dur, presqu'autant que du béton. Je dégage deux nouveaux trous qui étaient restés jusqu'à présent fermés mais ne trouve rien de particulier à l'intérieur. Vers midi, je ressens intensément la faim et m'aperçois que jeûner est une chose mais jeûner et travailler physiquement en est une autre. C'est pourtant ce qu'endurent quotidiennement les ouvriers qui en plus ne boivent pas. Bon, je suis seul et ne suis pas musulman, alors je mange quelques fruits et tout rentre dans l'ordre.
06.09 (16. Ram.): il fallait s'attendre à une réaction à notre intrusion involontaite chez le voisin lors de la réfection du mur de pisé. Je m'attendais un jour ou l'autre à l'irruption d'un voisin vociférant et j'aurais bien sûr envoyé Abdessalam en première ligne mais ce matin, une jeune femme polie et timide entre dans le riad et demande le chef de chantier qui s'est absenté pour une course. Elle s'assoit donc sagement dans un coin à la place de Driss et commence à attendre. Je suis à l'étage et au bout d'un certain temps, ne voyant pas revenir Abdessalam, je descends. Elle parle par chance bien français et je lui promets que les dégats causés seront réparés. Je lui conseille de revenir car le chef de chantier est parti pour une durée indéterminée mais elle répond qu'elle préfère qu'on vienne directement chez elle. Peu après son départ, Abdessalam arrive, je lui raconte la scène et il sort du riad. Revenu plus tard, il a constaté que dans deux chambres, le mur mitoyen a été perforé et il a promis qu'il enverra une équipe pour réparer. Il faudra que je veille à ce que cette promesse soit tenue car je me suis engagé aussi.
09.09 (19. Ram.): aujourd'hui il est arrivé quelque chose de grave. A environ 1h de l'après midi, j'entends des éclats de voix dans la rue devant l'entrée du riad. Je pense qu'il s'agit encore d'une des fréquentes altercations mais comme le bruit ne cesse pas, je vais voir et découvre Ahmed la tête en sang au milieu d'une dizaine de personnes et agressé par 3 jeunes dont je reconnais l'un des fils de notre voisin d'en face. Ce voisin nous crée constamment des ennuis depuis que nous avons ouvert le chantier, en prenant pour prétexte les désagréments inévitables que nous causons (bruit, chaussée salie, allées et venues) pour provoquer les ouvriers. En fait, je crois connaître la raison véritable de son animosité. Il est aussi entrepreneur mais avec une très mauvaise réputation. Sabah m'avait mis en garde, elle même avait été en procès contre lui pour une agression et elle avait gagné. Ce monsieur n'a pas eu donc la charge des travaux et en éprouve une grande rancoeur.
Voyant que la situation devient dramatique, j'appelle la police qui dépêche un inspecteur et son adjoint. Nous passons une grande partie de l'après midi dans les locaux du commissariat à faire une déclaration des faits. Le pauvre Ahmed est en mauvais état, avec un oeil tuméfié, des hématomes sur les bras et surtout une dent cassée. Les policiers essaient d'arranger la chose et proposent un accord à l'amiable mais nous refusons catégoriquement cette alternative. Si nous ne frappons pas fort cette fois ci, cela va recommencer dans une dizaine de jours. Nous déposons donc une plainte et cette affaire se règlera devant le procureur. En sortant, nous allons chez le photographe pour garder une preuve du visage tuméfié d'Ahmed puis l'accompagnons chez le médecin afin que celui ci établisse un certificat de coups et blessures et qu'il lui prescrive un arrêt de travail. Ces pièces seront versées au dossier.
Ce voisin est notoirement connu dans le derb comme un fauteur de troubles et un escroc. Tout le monde m'a mis en garde contre lui mais je ne pensais pas que cela puisse aller si loin. Décidémment, ce mois de Ramadan est loin des ses objectifs de paix et de grand pardon.
10.09 (20. Ram): l'arcade de porte que nous avons construite il y a quelque jours n'est hélas pas alignée avec une autre arcade de fenêtre placée juste derrière elle et cela donne un effet très disgracieux. J'hésite depuis quelques jours mais chaque fois que je passe dans ce couloir, je m'énerve de voir cette perpective si peu harmonieuse. Alors ma décision est prise: je vais faire reconstruire la fenêtre et la décaler d'une bonne vingtaine de centimètres sinon plus tard, je verrai constamment ce défaut. Les ouvriers ont pourtant respecté le plan mais ce décalage des deux arcades est resté inaperçu sur le papier.
Deux jour plus tard, la fenêtre a été reconstruite dans l'axe et je me réjoui d'avoir pris cette décision.
26 Septembre: j'ai quitté le chantier pendant une quinzaine de jours. Le Ramadan est fini, la population a fêté l'Aid El Fitr qui marque la fin du mois sacré et le retour à une vie plus normale.
Les travaux n'ont pas vraiment progréssé pendant mon absence, la première semaine ayant marqué la fin du Ramadan et l'approche des fêtes de l'Aid, la productivité a donc dû être réduite au minimum. Puis pendant la semaine qui a suivi l'Aid, le chantier a été fermé, tout le monde a pris des vacances somme toute bien méritées.
L'Aid El Fitr est une grande fête musulmane, une vraie fête de famille où tout le monde se retrouve devant de bons repas, c'est pourquoi pendant cette semaine, le pays tourne au ralenti.
Le temps a changé aussi. Nous sommes à la fin Septembe, les jours de grande chaleur sont derrière nous et il commence même à pleuvoir, les nuits se sont sensiblement rafraîchies.
Nous allons devoir accélérer la cadence car il faut absolument que la terrasse soit terminée avant les grandes pluies de l'hiver.
27 Septembre: deux maâlems sont occupés à placer une des rangées de tuiles qui bordent les façades intérieures du riad. Ils ont scellé la première et la dernière tuile puis ont tiré un cordeau entre les deux et ils alignent les autres les unes après les autres. Ils sont à peu près à mi parcours lorsque je monte à l'étage en face d'eux et d'une fenêtre, je m'aperçois que les tuiles n'ont pas la même inclinaison. Les deux ouvriers sont debouts devant elles et ne s'aperçoivent pas de ce dáfaut mais d'en face et à distance, celui ci apparait très nettement. Je monte donc près d'eux et leur montre, niveau à bulle et mètre à l'appui, qu'ils ont mal installé les tuiles. Il faut donc de nouveau les démonter en partie.
En fait c'était la dernière tuile qui avait été mal placée et comme les ouvriers se fiaient au cordeau, toutes étaient progressivement décalées. C'était à Abdessalam à voir cela mais c'est toujours la même chose: l'oeil du maître...
1 Octobre: j'ai changé de café à présent pour mon petit déjeûner car celui où j'allais est à l'ombre à présent et les matins sont devenus frais à Fès. Je m'installe donc maintenant un peu avant 8h au café juste derrière Bab Boujloud. De tous les cafés, c'est le premier à recevoir le soleil le matin lorsque celui ci dépasse les terrasses de l'hôtel Cascade. A cette heure ci, il y a déjà des clients, tous marocains, mais la seule place au soleil est libre car les autochtones s'assoient toujours à l'ombre. J'ai donc là ma table attitrée et, après avoir acheté mes deux pains au chocolat un peu plus loin, je commande mon café au lait et prends mon petit déjeûner.
Les premiers rayons de soleil sur mon visage sont comme une douce et chaude caresse. La place Boujloud à cette heure matinale est déserte de touristes et c'est l'heure où les jeunes se rendent au lycée Moulay Idriss tout proche, les filles toutes en blouses blanches. En fait la blouse a le double but d'uniformiser la tenue vestimentaire des jeunes filles mais aussi de cacher leurs formes aux yeux des garçons vu que les classes sont mixtes à présent.
Pourtant au fil des années, cette blouse a été progressivement raccourcie par celles qui les portent et chez certaines, ce n'est plus guère qu'un chemisier. On voit bon nombre de filles portant certes le foulard réduit parfois à un simple fichu cachant leurs cheveux mais en jeans moulant et la blouse s'arrêtant à peine en dessous de la ceinture. Les interdits sont transgressés progressivement, millimètre par millimètre.
Et dire que dans les années quarante voire cinquante, les femmes étaient encore assignées à rester au sein de leur harem. Dans le monde arabe, ce mot désigne en fait simplement le lieu où vit une famille élargie, c'est à dire un homme avec sa ou ses femmes et ses fils et leurs épouses ainsi que leur progéniture, parfois aussi une tante ou une cousine sans famille ou divorcée et les gens de maison qui étaient jadis des esclaves.
Ce lieu en ville pouvait être selon le rang du chef de famille une simple maison, un riad ou un palais, mais toujours fermé vers l'extérieur et où les allées et venues des femmes étaient parfaitement réglementées. Les sorties ne se faisaient qu'après permission d'un des maîtres de maison et toujours accompagnées.
A la campagne, le harem n'était pas fermé par de hauts murs sans ouverture puisque les femmes ne devaient pas être protégées des regards des autres hommes. Les fermes étant dispersées et entourées de champs, les femmes y jouissaient d'une relative liberté et pouvaient vaquer à leurs occupations journalières sans contrainte. Le voile ou la haik, long tissus de coton qui couvre entièrement la femme, n'y étaient pas de mise et les vêtements étaient plus pratiques et laissaient une entière liberté de mouvement.
L'écrivain Fatéma Mernissi décrit parfaitement dans son roman "Rêves de femmes" la vie d'un harem pendant la deuxième Guerre Mondiale.
L'imaginaire des Occidentaux n'a retenu que le concept du harem des vizirs et des califes qui pouvaient contenir, outre les épouses, des centaines de concubines, esclaves, eunuques et les nombreux enfants de ces puissants hommes, une véritable société fermée au monde extérieur avec ses règles et ses lois et gravitant autour du maître de maison afin d'assurer son bien-être et son plaisir.
Vers neuf heures, le soleil devient trop intense, les belles lycéenes sont toutes rentrées en classe, je rentre donc au riad pour commencer ma journée au chantier.
Aujourdh'ui, c'est mon dernier jour au Maroc car demain, je m'envole vers la France. J'ai discuté avec Rachid des travaux à faire pendant mon absence et donné mes instructions. Certes, il se peut que certains travaux ne soient pas exécutés selon mes désirs mais c'est le risque à prendre car je ne peux pas rester en permanence au riad pendant toute la durée de sa rénovation.


Reconstruction d'une des façades


La façade est complètement reconstruite


Azrou: visite d'une scierie avec Rachid et Adil


Azrou: intérieur de la scierie


Azrou: inspection des pièces de bois


Azrou: troncs prêts à être débités


Azrou: aire de dépot des billes de bois


Solivage traditionnel en bois de cèdre


Ma chambre


Etal du boucher. Attention: viande de chameau !


Le charretier assure les livraisons


Vendeuse de crêpes dans le Talaâ Sghira


Médina: transport traditionnel de marchandises


Transport moderne


Ramadan: en attendant les clients


Juste avant le ftour


Place Boujloud avant le ftour


Eux aussi attendent le ftour


Heure du ftour: Talaâ Kebira


Ftour: Talaâ Sghira


Ftour: une autre rue de la médina


Derb Bensalem pendant le ftour


Ftour: la délivrance après le jeûne


Typique repas de ftour


Baignoire de chantier


Icham traite un IPN


Rachid et Absessalam


Habib, conducteur d'engin de chantier


Construction d'une porte


Construction d'une dalle


Mise en place de tuiles


Abdallah traite les solives à l'huile de lin


Porte de mosquée dans la médina


Porte de hammam dans la médina


Arcades


Arcades


Arcades mal alignées


Défaut d'alignement


Après correction


Première façade terminée


Première façade du riad


Deuxième aile du riad


Deuxième aile du riad


Maçonnage d'uns salle de bains


Salle de bains et chambre en mezzanine


La dalle est coulée sur la chambre


Vue sur la terrasse

Riad Sabah, une maison d'hôtes située à Fès au Maroc. Elle comprend sept suites et quatre chambres ainsi qu'un grand patio. Au Maroc à Fez dans la médina, de nombreux hotels ainsi que des maisons d'hotes et des ryads sont à la disposition des touristes. Location d'une suite, de résidences dans la médina ou bien un logement de charme avec chambres. Riad Sabah est une maison d'hotes à Fès avec plusieurs chambres à louer ainsi que des suites. A Fez (Maroc) non loin de Bab Boujloud, des maisons d'hôtes ainsi que des riads de charme offrant une vue sur la vieille ville avec hébergement dans un appartement.

Fès / Fez (Maroc), des riads ou maisons d´hôtes dans la medina.
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